LA TERRE (1887)
La Genèse - La Fortune des Rougon - La Curée - Le Ventre de Paris - La Conquête de Plassans - La Faute de l'abbé Mouret - Son Excellence Eugène Rougon - L'Assommoir - Une Page d'Amour - Nana - Pot-Bouille - Au Bonheur des dames - La Joie de Vivre - Germinal - L'Oeuvre - La Terre - Le Rêve - La Bête Humaine - L'Argent - La Débâcle - Le Docteur Pascal - L'arbre généalogique
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"Je veux faire le poème vivant de la terre, mais sans symbole, humainement. J'entends par-là que je veux peindre d'abord, en bas, l'amour des paysans pour la terre, un amour immédiat, la possession du plus de terre possible, la passion d'en avoir beaucoup, parce qu'elle est à ses yeux la fortune de la richesse ; puis en m'élevant, l'amour de la terre nourricière, la terre dont nous tirons tout, notre être, notre substance, notre vie, et où nous finissons par retourner" (...)
Extrait de l'ébauche du roman
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(...) "Je veux faire tenir tous mes paysans, avec leur histoire, leurs mœurs, leur rôle, j'y veux poser la question sociale de la propriété, j'y veux montrer où nous allons, dans cette crise de l'agriculture, si grave en ce moment. Toutes les fois maintenant que j'entreprends une étude, je me heurte au socialisme. Je voudrais faire pour le paysan avec la Terre, ce que j'ai fait pour l'ouvrier avec Germinal. Ajoutez que j'entends rester artiste, écrivain, écrire le poème vivant de la terre, les saisons, les travaux des champs, les gens, les bêtes, la campagne entière".
Extrait d'une lettre d'E. Zola à Van Santen Kolff du 27/05/86
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RESUME DU ROMAN
Jean Macquart, frère de Gervaise, a préféré s'engager dans l'armée afin de fuir l'ignominie de son père. Après sept ans, il quitte l'armée pour aller travailler chez le père d'un ami. Malheureusement la mort de son patron l'oblige à partir pour Rognes où il doit réparer une ferme. La chance lui sourit quand un paysan lui propose un travail en tant que valet. Jean accepte même si le travail est rude. De plus ce nouveau travail va lui permettre de rencontrer Françoise Fouan, sa future femme.
Françoise est la fille de Michel Fouan qui autrefois, lors du partage des terres familiales, a obtenu la partie la plus mauvaise. Et cette histoire se répète avec les enfants de Louis Fouan, le frère de Michel. Cette fois-ci c'est Buteau, le dernier des trois enfants qui est victime de la malchance. Mais pour lui la seule chose qui puisse le contenter c'est de devenir propriétaire de l'ensemble des terres. Et pour cela rien ne peut l'arrêter, même pas le crime. C'est ainsi que Jean va être le malheureux spectateur de trois meurtres dont celui de sa propre femme.
Tout d'abord Buteau assassine sa mère car il veut pouvoir fouiller librement la maison familiale afin d'y trouver un trésor caché.
Ensuite c'est au tour de sa belle-sœur de succomber. En effet, Lise, la femme de Buteau, tue Françoise sa propre sœur. La rancoeur de Buteau envers Françoise est double : son envie de la posséder qui le pousse à la violenter mais également la jalousie envers l'héritage dont elle est la bénéficiaire. C'est ainsi que lors d'une dispute entre les deux soeurs, l'aînée tue la cadette à l'aide d'une faux. Françoise succombe ainsi que l'enfant qu'elle porte.
Enfin la dernière victime est le père Fouan, père de Lise et de Françoise. Ce vieux paysan, rejeté par ses enfants, est peu à peu exclu de chez lui. Se sentant humilié, il se réfugie dans un mutisme total face à sa fille et à son gendre. Etant à leur charge, ces derniers enragent de devoir nourrir cet homme qui, même vieilli et infirme, garde un grand appétit. L'idée du meurtre leur vient alors à l'esprit. Ils passent à l'acte en étranglant lâchement le vieil homme pendant son sommeil, non sans l'avoir dépouillé auparavant. Ensuite ils mettent le feu afin de cacher leur crime.
Après ces tristes événements, Jean quitte la région où les hommes aiment par-dessus tout leurs terres, celle par qui tout naît.
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Le manifeste des cinq
Par Paul Bonnetain, J-H Rosny, Lucien Descaves, Paul Marguerite, Gustave Guiches
La Terre à Emile Zola
Naguère encore Emile Zola pouvait écrire, sans soulever de récriminations sérieuses, qu'il avait avec lui la jeunesse littéraire. Trop peu d'années s'étaient écoulées depuis l'apparition de L'Assommoir, depuis les fortes polémiques qui avaient consolidé les assises du naturalisme, pour que la génération montante songeât à la révolte. Ceux-là mêmes que lassait plus particulièrement la répétition énervante des clichés, se souvenaient trop de la trouée impétueuse faite par le grand écrivain, de la déroute des romantiques.
On l'avait vu si fort, si superbement entêté, si crâne, que notre génération malade presque tout entière de la volonté, l'avait aimé rien que pour cette force, cette persévérance, cette crânerie. Même les pairs, les précurseurs, les maîtres originaux, qui avaient préparé de longue main la bataille, prenaient patience, en reconnaissance des services passés.
Cependant, dès le lendemain de L'Assommoir, de lourdes fautes avaient été commises. Il avait semblé aux jeunes que le Maître, après avoir donné le branle, lâchait pied à l'exemple de ces généraux de révolution dont le ventre a des exigences que le cerveau encourage. On espérait mieux que de coucher sur le champ de bataille ; on attendait la suite de l'élan, on espérait de la belle vie infusée au livre, au théâtre, bouleversant les caducités de l'Art.
Lui, cependant, allait creusant son sillon, il allait, sans lassitude, et la jeunesse le suivait, l'accompagnait de ses bravos, de sa sympathie si douce aux plus stoïque ; il allait, et les plus vieux et les plus sagaces fermaient dès lors les yeux, voulaient s'illusionner, ne pas voir la charrue du Maître s'embourber dans l'ordure. Certes, la surprise fut pénible de voir Zola déserter, émigrer à Médan, consacrant les efforts -- légers à cette époque -- qu'eût demandés un organe de lutte et d'affermissement, à des satisfactions d'un ordre infiniment moins esthétique. N'importe ! la jeunesse voulait pardonner la désertion physique de l'homme. Mais une désertion plus terrible se manifestait déjà : la trahison de l'écrivain devant son œuvre.
Zola, en effet, parjurait chaque jour davantage son programme. Incroyablement paresseux à l'expérimentation personnelle, armé de documents de pacotille, ramassés par des tiers, plein d'une enflure hugolique, d'autant plus énervante qu'il prêchait âprement la simplicité, croulant dans des rabâchages et des clichés perpétuels, il déconcertait les plus enthousiastes de ses disciples.
Puis, les moins perspicaces avaient fini pas s'apercevoir du ridicule de cette soi-disant Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire, de la fragilité du fil héréditaire, de l'enfantillage du fameux arbre généalogique, de l'ignorance, médicale et scientifique, profonde du Maître.
N'importe, on se refusait, même dans l'intimité, à constater carrément les mécomptes. On avait des : "Peut-être aurait-il dû...", des "Ne trouvez-vous pas qu'un peu moins de...", toutes les timides observations de lévites déçus, qui voudraient bien ne pas aller jusqu'au bout de leur désillusion. Il était dur de lâcher le drapeau ! Et les plus hardis n'allaient qu'à chuchoter qu'après tout Zola n'est pas le naturalisme et qu'on n'inventait pas l'étude de la vie réelle, après Balzac, Stendhal, Flaubert et les Goncourt ; mais personne n'osait l'écrire, cette hérésie.
Pourtant, incoercible, l'écoeurement s'élargissait surtout devant l'exagération croissante des indécences, de la terminologie malpropre des Rougon-Macquart. En vain, excusait-on tout par ce principe émis dans une préface de Thérèse Raquin :
Je ne sais si mon roman est moral ou immoral ; j'avoue que je ne me suis jamais inquiété de le rendre plus ou moins chaste. Ce que je sais, c'est que je n'ai jamais songé à y mettre les saletés qu'y découvrent les gens moraux ; c'est que j'en ai décrit chaque scène, même les plus fiévreuses, avec la seule curiosité du savant.
On ne demandait pas mieux que de croire, et même quelques jeunes avaient, par le besoin d'exaspérer le bourgeois, exagéré la curiosité du savant. Mais il devenait impossible de se payer d'arguments : la sensation nette, irrésistible, venait à chacun, devant telle page des Rougon, non plus d'une brutalité de document, mais d'un violent parti pris d'obscénité. Alors, tandis que les uns attribuaient la chose à une maladie des bas organes de l'écrivain, à des manies de moine solitaire, les autres y voulaient voir le développement inconscient d'une boulimie de vente, une habilité instinctive du romancier, percevant que le gros de son succès d'éditions dépendait de ce fait, que "les imbéciles achètent les Rougon-Macquart, entraînés, non par tant par leur qualité littéraire, que par la réputation de pornographie que la vox populi y a attachée".
Or, il est bien vrai que Zola semble excessivement préoccupé (et ceux d'entre nous qui l'ont entendu causer ne l'ignorent pas) de la question de vente ; mais il est notoire aussi, qu'il a vécu de bonne heure à l'écart et qu'il a exagéré la continence, d'abord par nécessité, ensuite par principe. Jeune, il fut très pauvre, très timide, et la femme, qu'il n'a point connue à l'âge où l'on doit la connaître, le hante d'une vision évidemment fausse. Puis, le trouble d'équilibre qui résulte de sa maladie rénale contribue sans doute à l'inquiéter outre mesure de certaines fonctions, le pousse à grossir leur importance. Peut-être Charcot, Moreau (de Tours) et ces médecins de la Salpêtrière qui nous firent voir leurs coprolaliques pourraient-ils déterminer les symptômes de son mal... Et, à ces mobiles morbides, ne faut-il pas ajouter l'inquiétude, si fréquemment observée chez les misogynes, de même que chez les tout jeunes gens, qu'on ne nie leur compétence en matière d'amour ?...
Quoi qu'il en soit, jusqu'en ces derniers temps encore, on se montrait indulgent ; les rumeurs craintives s'apaisaient devant une promesse : la Terre. Volontiers espérait-on la lutte du grand littérateur avec quelque haut problème, et qu'il se résoudrait à abandonner un sol épuisé. On aimait se représenter Zola vivant parmi les paysans, amassant des documents personnels, intimes, analysant patiemment des tempéraments de ruraux, recommençant enfin le superbe travail de l'Assommoir. L'espoir d'un chef-d'oeuvre tenait tout le monde en silence. Certes, le sujet simple et large promettait des révélations curieuses.
La Terre a paru. La déception a été profonde et douloureuse. Non seulement l'observation est superficielle, les trucs démodés, la narration commune et dépourvue de caractéristiques, mais la note ordurière est exacerbée encore, descendue à des saletés si basses que, par instants, on se croirait devant un recueil de scatologie : le Maître est descendu au fond de l'immondice.
Eh bien ! cela termine l'aventure. Nous répudions énergiquement cette imposture de la littérature véridique, cet effort vers la gauloiserie mixte d'un cerveau en mal de succès. Nous répudions ces bonshommes de rhétorique zoliste, ces silhouettes énormes, surhumaines et biscornues, dénuées de complication, jetées brutalement, en masses lourdes, dans des milieux aperçus au hasard des portières d'express. De cette dernière oeuvre du grand cerveau qui lança l'Assommoir sur le monde, de cette Terre bâtarde, nous nous éloignons résolument, mais non sans tristesse. Il nous poigne de repousser l'homme que nous avons trop fervemment aimé.
Notre protestation est le cri de probité, le dictamen de conscience de jeunes hommes soucieux de défendre leurs oeuvres, – bonnes ou mauvaises, – contre une assimilation possible aux aberrations du Maître. Volontiers nous eussions attendu encore, mais désormais le temps n'est plus à nous : demain il serait trop tard. Nous sommes persuadés que la Terre n'est pas la défaillance éphémère du grand homme, mais le reliquat de compte d'une série de chutes, l'irrémédiable dépravation morbide d'un chaste. Nous n'attendons pas de lendemain aux Rougon : nous imaginons trop bien ce que vont être les romans sur les chemins de fer, sur l'armée, le fameux arbre généalogique tend ses bras d'infirme sans fruits désormais.
Maintenant, qu'il soit bien dit une fois de plus que, dans cette protestation, aucune hostilité ne nous anime. Il nous aurait été doux de voir le grand homme poursuivre paisiblement sa carrière. La décadence même de son talent n'est pas le motif qui nous guide, c'est l'anomalie compromettante de cette décadence. Il est des compromissions impossibles : le titre de naturaliste, spontanément accolé à tout livre puisé dans la réalité, ne peut plus nous convenir. Nous ferions bravement face à toute persécution pour défendre une cause juste ; nous refusons de participer à une dégénérescence inavouable.
C'est le malheur des hommes qui représentent une doctrine, qu'il devient impossible de les épargner le jour où ils compromettent cette doctrine. Puis, que ne pourrait-on dire à Zola, qui a donné tant d'exemples de franchise, même brutale ? N'a-t-il pas chanté le struggle for life, et le struggle sous sa forme niaise, incompatible avec les instincts d'une haute race, le struggle autorisant les attaques violentes ? "Je suis une force", criait-il, écrasant amis et ennemis, bouchant aux survenants la brèche qu'il avait lui-même ouverte.
Pour nous, nous repoussons l'idée d'irrespect, pleins d'admiration pour le talent immense qu'a souvent déployé l'homme. Mais est-ce notre faute si la formule célèbre : "un coin de nature vu à travers un tempérament" se transforme, à l'égard de Zola, en "un coin de nature vu à travers un sensorium morbide", et si nous avons le devoir de porter la hache dans ses oeuvres ? Il faut que le jugement public fasse balle sur la Terre, et ne s'éparpille pas, en décharge de petit plomb, sur les livres sincères de demain.
Il est nécessaire que, de toute la force de notre jeunesse laborieuse, de toute la loyauté de notre conscience artistique, nous adoptions une tenue et une dignité, en face d'une littérature sans noblesse, que nous protestions au nom d'ambitions saines et viriles, au nom de notre culte, de notre amour profond, de notre suprême respect pour l'Art !