L'ADULTERE DANS LA BOURGEOISIE  

 

L'adultère dans la bourgeoisie - Comment elles poussent - Une confusion sur le nom de Zola - La visite des bagages

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Si, dans le peuple, le milieu et l'éducation jettent les filles à la prostitution, le milieu et l'éducation, dans la bourgeoisie, les jettent à l'adultère.

Me permettra-t-on d'accrocher un pendant, à côté du tableau esquissé par moi à cette place, lundi dernier ? Le mal social est partout, l'observateur et le moraliste doivent étudier et dénoncer les places de toutes les classes. En face de la fleur perverse, grandie poussée dans l'étouffement chlorotique et les vanités imbéciles des petits appartements bourgeois.

Et, par ce mot de bourgeoisie, j'entends surtout cette classe vague et si nombreuse qui va du peuple aux intelligents et aux riches de ce monde. Ce sont les employés, les petits commerçants, les petits rentiers, tous ceux qui s'agitent dans les situations médiocres, et qui se battent furieusement pour la maigre satisfaction de leurs appétits. Si le peuple compte pour un tiers à Paris, cette bourgeoisie là représente un autre tiers, le plus âpre à la vie.

Je risque là, je le sais, des dissections cruelles, faites pour troubler et attrister. Mais la logique veut que les deux tableaux aillent de pair. Puis, il est bon de se mettre résolument en face de ces problèmes sociaux ; si l'on ne peut les résoudre, on les pose, et c'est plus tard aux législateurs à agir sur les moeurs.

La famille habite, au 4ème étage, un logement composé de 5 pièces étroites, où l'on mange et où l'on dort, en serrant les coudes. Le père est employé quelque part, vend de quelque chose dans une boutique, mange de petites rentes qui le forcent de compter sou à sou ; en tout cas, son existence enfermée, ses besognes de bête tournant toujours la même roue, ses préoccupations basses et maniaques lui ont appauvri le sang et l'intelligence, comme elles avaient déjà appauvri son père et son grand-père. La mère est également un lointain produit de l'étouffement du milieu et des soucis enragés du lucre ; elle a une âcreté du sang qui lui bleuit la face de couperose ; ou bine, rongée d'anémie, elle se traîne avec des blancheurs de cire. C'est une race atrophiée par les plafonds bas, par l'obscurité des bureaux et des arrière-boutiques, par la perversion des besoins de la vie, qui les fait se priver de vin pour offrir chaque semaine un thé à ses amis.

Une fille naît dans l'étroit logement. Ce n'est plus ici la misère ni la débandade des ménages ouvriers ; c'est moins de liberté et moins de santé à la fois, les courants d'air surveillés, la chambre transformée en serre chaude, à peine une promenade d'une heure, quand il faut beau. La petite pousse chétivement. En elle, s'aggravent encore l'abêtissement du père et la chlorose de la mère. Souvent, toute gamine, elle est déjà une détraquée, qu'il faut soigner pour la sauver de la crise de ses quatorze ans. Elle a des convulsions, des langueurs, des étourdissements qui se terminent par des saignements de nez. La névrose couve.

On la marie, et brusquement voilà une femme fantasque qui désole son ménage. Jeune fille, elle paraissait très douce, un peu délicate. On plaisantait même là-dessus, on disait que le mariage la remettrait. Pas du tout, le mariage achève de la détraquer, c'est une malade. Le jeune homme qui l'a épousée a eu tort de ne pas consulter un médecin, car il va souffrir les ennuis, les tortures d'une femme au sang appauvri, aux nerfs exaspérés, élevée très honnêtement et qui la trahira avec le premier sot venu.

Je n'examine pas le cas de la corruption par les domestiques. Il est pourtant assez fréquent, et l'on vient d'en avoir un exemple terrible, dans le procès de Bordeaux ; les petite bourgeoises vicieuses se perdent à la cuisine, comme les petites filles du peuple se corrompent dans la rue. J'admets que la mère ait réussi à élever l'enfant dans une ignorance complète. C'est une vierge que le mari épouse ; mais le voilà bien loti, si cette vierge est une créature dégénérée, dont le mal héréditaire éclate, dès qu'elle se trouve lâchée dans l'existence.

Oui, l'hystérie ravage la classe bourgeoise, seulement, il faut d'entendre sur ce mot d"hystérie, auquel on donne couramment un sens  antiscientifique. D'après les derniers travaux des physiologistes et des médecins, l'hystérie est une névrose dont le siège serait dans l'encéphale, un diminutif de l'épilepsie, qui n'entraîne pas forcément des crises de fureur sensuelle ; ces crises sont le propre de la nymphomanie, distinction qui ne me parait pas avoir été faite avec assez  de netteté par les experts de ce procès de Bordeaux, dont je parlais tout à l'heure. L'hystérie, dans dix cas contre deux, n'est donc qu'une perturbation nerveuse qui se produit le plus souvent héréditairement, chez des femmes de nature froide, et qui pervertit surtout les sentiments et les passions.

Notre cas, dès lors, est parfaitement déterminé. La jeune femme a eu tous les bons exemples sous les yeux ; en autre, elle est d'un sang pâle qui ne la tourmente d'aucun désir. Seulement, si ses parents ont veillé à la préserver des spectacles corrupteurs, ils n'ont pu lui donner l'équilibre d'une santé forte. Elle porte en elle la déchéance de la race et du milieu, elle, paie pour les générations qui se sont mal nourries, dans des rez-de-chaussée humides, et qui sont tombées au rachitisme, en feuilletant des livres de compte courant ou en passant des journées à gratter du papier. Ce n'est plus une plante de plein air, de plein soleil ; c'est une créature abâtardie, dont les crises peuvent aussi bine tourner au vice qu'à la vertu.

Le jeune ménage se querelle presque tout de suite. Madame s'ennuie, change d'humeur vingt fois en un jour, rit et pleure sans raison ; si bien que monsieur, haussant les épaules quand elle se plaint d'avoir mal partout et d'étouffer, finit par devenir brutal. La désunion s'accentue, à moins que l'homme ne plie l'échine et ne consente à être une victime résignée de la femme. Un beau soir, celle-ci tombe dans les bras d'un amant ; non pas qu'elle y soit poussée par le moindre appétit sensuel, mais parce qu'elle souffre, qu'elle est folle. C'est l'adultère, l'adultère physiologique par le déséquilibre des névroses héréditaires, l'adultère qui sévit surtout dans les classes moyennes, et si fréquent, sue, sur dix cas, on en compte au moins quatre dus à cet état morbide de la femme.

Reprenons l'enfant dans son intérieur mesquin, entre son père et sa mère qui brûle l'envie de paraître, cette lèpre moderne de la bourgeoisie nécessiteuse. On mange mal, des portions rognées, de la viande inférieure accommodée au beurre rance, pour pouvoir ajouter des rubans aux toilettes de madame et de mademoiselle. Le père laisse faire et pousse même parfois à cette dépense d'étalage, parce que son axiome est qu'il faut arriver. Il gagne trois mille francs, et la famille semble vivre sur un pied de sept à huit mille, grâce à tout un système savant de privations, une lésinerie et une saleté féroces, sous une affectation de dehors mondains.

Dès lors; l'enfant s'élève dans cette cuisine. Elle apprend les vénérations de l'argent ; en voyant les vilenies que l'on commet pour paraître en avoir. On lui enseigne que les riches seuls sont respectés, qu'ils vaut mieux mentir que d'avoir l'air pauvre, que le souverain bonheur est d'être bien mise, à ce point qu'on peut porter des jupons douteux, pourvu qu'on les cache sous une robe de soie. Et ce ne sont ainsi que des tripotages d'argent, des querelles pour l'argent, des envies furieuses à l'idée de l'argent.

Mais elle grandit, et la bataille devient plus âpre. On veut la marier. Alors c'est terrible. Une chasse de sauvages, sans arrêt, sans pitié, commence. Depuis qu'ils font pour elle des frais de toilette, les parents n'ont qu'une idée, la placer avantageusement, c'est à dire trouver un garçon très riche, qui l'épousera sans dot ; et ils sont décidés à mal  se conduire, à prendre le jeune homme au piège, à le tromper par des dehors luxueux et gais. Un père et une mère, dans la petite bourgeoisie deviennent absolument capables de tout, quand l'heure critique sonne où il leur faut caser leur demoiselle.

Dès sa seizième année, on part à l'affût. Sa mère la conduit dans les réceptions de leur entourage. On économise les trois francs cinquante de voiture, en allant et en revenant à pied. Les robes sont retapées tous les deux mois avec des garnitures neuves, pour qu'on ne les reconnaisse pas. Et, dans ces réceptions, sous les paroles gentilles, les moues aimables, les petits rires, il y a une rage d'impatience qui s'accroît à mesure que la jeune fille se mûrit. Quand elle a vingt-deux ans, la mère la jetterait dans les bras d'un monsieur, afin que le monsieur l'épouse ensuite. Le cas est fréquent.

Belle éducation que l'enfant prend là pour son futur ménage ! Il faut entendre comment la mère parle des hommes, ces va-nu-pieds, dont pas un ne songe à lui apporter une fortune. Dans ses heures d'amertume, elle les "débine" à sa fille, de façon à l'en dégoûter pour jamais ; et même elle n'épargne pas le père, un égoïste comme les autres, qui ne remue pas, qui l'a trompée sur ses capacités, et que certes elle n'épouserait plus, si c'était à refaire. Puis, elle enseigne à la petite comment on empaume un jeune homme. Elle lui donne des révérences et des clins d'oeil, des pâmoisons de gorge, tout l'art du libertinage reconnu nécessaire et autorisé par les familles. C'est un véritable cours de prostitution décente.

Enfin, les parents trouvent un niais qu'ils mettent dedans ou un plus malin qu'eux les roule. La voilà jeune femme, avec son éducation sur l'argent et sa pratique de "faire" les hommes. Huit fois sur dix, son mari ne la satisfait pas. Ce qu'il  gagne ne peut soutenir le train de la maison, car elle ne veut rien abandonner de ses toilettes, de ses visites, de ses réceptions. Elevée pour un mariage riche, avec le goût et le besoin des choses chères, jetée hors de sa condition, elle fera tout pour garder ce qu'elle appelle son rang. Il lui faut de l'argent quand même ; si son mari ne peut lui en apporter, elle en cherchera ailleurs. Et la chasse recommence, non plus au mari, mais à l'amant.

Même tactique d'ailleurs. Sa mère lui a appris le métier. Il faut paraître belle, bien portante, aimable. Il faut se laisser prendre la main, soupirer, aller jusqu'aux caresses innocentes. Elle va plus loin. C'est fait. Après le premier amant, un second. Elle entretient d'abord son luxe en cadeaux ; puis elle accepte de l'argent. Aucune sollicitation des sens dans tout cela ; de la vanité, pas davantage. C'est un autre cas de l'adultère, très fréquent aussi, l'adultère de la femme sortie de sa classe, gâtée par les appétits de son milieu, élevée par une mère respectable et prude dans cette idée que les hommes sont mis au monde pour fournir des robes aux femmes, autant qu'elle en veulent.