SA VIE  

" Je suis né le 02 avril 1840 d'un père natif de Venise et d'une mère française, originaire de la Beauce - je suis né ici à Paris, en plein centre d'un des quartiers populaires. Mon père était ingénieur et réalisa quelques grands travaux de canalisation dans la région d'Aix, près de Marseille, où il mourut en 1847. J'ai grandi en Provence de l'âge de 3 ans jusqu'à l'âge de 18 ans et j'ai commencé mes études au collège de la ville d'Aix. Revenu à Paris en 1858, j'ai connu une période de grande misère. J'ai terminé mes études secondaires au lycée Saint-Louis et passé quelques temps à fainéanter avec l'insouciance d'un poète. En 1862, je suis rentré à la Librairie Hachette, jusqu'en 1866, époque où je me suis lancé dans le journalisme.

Il y a déjà dix ans que je vis de ma plume, plutôt mal que bien. On me conteste violemment, on ne me reconnaît souvent pas le moindre talent et je gagne bien entendu moins d'argent que ceux qui écrivent des feuilletons des journaux. Il y a quatre ans seulement que j'ai pu cesser tout à fait de collaborer à des journaux, où je m'attirais des désagréments par mes manières et je me suis définitivement enfermé chez moi pour écrire mes romans.

Je vis très à l'écart, dans un quartier éloigné, au fin fond des Batignolles. J'habite une petite maison avec ma femme, ma mère, deux chiens et un chat. Si quelqu'un passe me voir le jeudi soir, il s'agit surtout d'amis d'enfance qui sont presque tous des Provençaux. Je sors le moins possible. Comme écrivains, je ne fréquente que Flaubert, Goncourt et Alphonse Daudet. Je me suis éloigné de tout, exprès, pour travailler le plus tranquillement possible. Je travaille de la manière la plus bourgeoise. Mes heures sont fixées : le matin, je m'assieds à ma table, comme un marchand à son comptoir, j'écris tout doucement, en moyenne trois pages par jour, sans recopier : imaginez-vous une femme qui brode de la laine point par point ; naturellement je fais des fautes, quelques fois je rature, mais, je ne mets ma phrase sur le papier que lorsqu'elle est parfaitement disposée dans ma tête. Comme vous voyez, tout ceci est extraordinairement ordinaire. Je crains qu'une telle révélation ne fasse tort dans l'esprit de vos auditeurs, au personnage effrayant qu'ils imaginent que je suis. Mais en réalité, tous les véritables travailleurs à notre époque doivent être par nécessité des gens paisibles, éloignés de toute pose et qui vivent en famille, comme n'importe quel notaire d'une petite ville.

Que vous dire encore ? Mes Rougon-Macquart auront vingt tomes et actuellement je travaille sur le septième, un roman qui embrassera le monde des ouvriers parisiens. J'ai déjà beaucoup travaillé et j'ai encore devant moi beaucoup de travail. Pour moi, la vie toute entière se résume dans le travail. Je ne compte pas, même dans dix ou quinze ans, être compris et reconnu en France. On répand sur mon compte des absurdités de toute sorte. De plus, la haine des écoles littéraires est trop forte pour qu'on me rende justice et la politique fait maintenant chez nous tellement de bruit que les livres passent tout à fait inaperçus. Ca ne fait rien ! Il faut seulement produire. Quand je suis content de ma journée, le soir, je joue aux dominos avec ma femme et ma mère. J'attends ainsi plus facilement le succès.

Je juge presque superflu d'ajouter que je ne me connais qu'un vice : j'aime bien manger. Mais un tel aveu peut sembler vaniteux. Jugez-en vous-même, pouvez-vous expliquer par tout ceci mes romans ? Un dernier détail : je suis très nerveux, le travail prolongé m'irrite et me tue. Parfois, je suis obligé de m'arrêter quelques semaines parce que mon cœur commence à battre de manière effrayante. Si je n'écrivais pas mes livres, j'aimerais être un petit propriétaire quelque part dans un village et respirer librement le grand air.

Corrigez tout ceci. Je voulais seulement donner des faits et des chiffres. Au fond, dans l'art, je n'ai qu'une passion : la vie. Je suis dévoué avec l'amour à la vie actuelle, à toute mon époque.

(Article paru dans les Annales de la Patrie, 1876)

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Né à Paris, le 02 avril 1840, rue Saint-Joseph. Mon père, né à Venise, officier à 17 ans dans l'armée du Prince Eugène, capitaine dans la légion étrangère, démissionnaire, établi ingénieur à Marseille, venu à Paris pour travailler aux fortifications. Ma mère, née à Dourdan (Seine et Oise) -- Parti à 3 ans pour Aix, où mon père avait eu le projet de creuser un canal d'irrigation. Enfant mal portant et très gâté. Revenu à Paris, pour une année, en 1846 : mon père était en instance pour obtenir l'ordonnance royale nécessaire à ses travaux. L'année suivante, en 1847, mort de mon père, à Marseille, quelques jours après les premiers coups de mine, dans les rochers de Jaumegarde. Dès lors, de longs procès et une ruine lente -- Entré à 7 ans au pensionnat de notre Dame ; très retardé dans mes études, je n'ai su lire qu'à 8 ans -- Première jeunesse dans un jardin, avec de grands biens ; toujours très gâté, absolument libre, appelé par mes camarades "le Petit Parisien" -- Au collège, en 8ème, en 1852 seulement, à l'âge de 12 ans -- Pensionnaire jusqu'en cinquième ; une vie de froissements et de chagrins parmi les autres élèves ; très bonnes études, tous les prix, de véritables triomphes aux distributions -- Devenu externe en 4ème, à 16 ans ; alors toute une autre vie ; rencontre de deux ou trois camarades ayant mes goûts, promenade de 8 à 10 H, après-midi passées à nous baigner dans l'arc, à lire Hugo et Musset dans la campagne, à battre tout le pays environnant ; deux années vécues ainsi, nous faisions des vers, des drames et des romans -- Pendant ce temps, ruine complète de ma mère qui était venue à Paris, à la fin de 1857 pour suivre un procès. J'étais alors en seconde. Je quittai en février 1858 le collège d'Aix pour venir la rejoindre et j'entrai au lycée Saint-Louis. J'avais fait, à 11 ans, un autre voyage à Paris, où j'avais passé six à huit mois -- Au lycée Saint-Louis, je suis tout d'un coup devenu un cancre. Moi qui avais tous les prix à Aix, je n'avais plus à Paris que le prix de discours français. Je ne faisais absolument rien ; ni devoirs, ni leçons. Pendant les années 1858 et 1859, j'ai lu Montaigne et Rabelais, derrière le dos de mes voisins -- Fini ma rhétorique en 1859. Entré dans la vie sans plan arrêté, vivant ceci et cela, écrivaillant beaucoup de vers. Pas un sou, d'ailleurs. Années 1860 et 1861 abominables. Sur le pavé, absolument. Des jours sans manger. Vivant très à l'écart, avec une fierté ombrageuse, dévoré d'ambition littéraire. Pas malheureux, au fond : un temps que je regrette. Des promenades sans fin dans Paris, le long des quais surtout, que j'adorais -- Quelques amis de Provence étaient arrivés, nous faisions le rêve de conquérir Paris. En 1862, entré chez Hachette, où je gagnais cent francs et où je fis d'abord des paquets. Un poème de deux mille vers que j'avais déposé un soir sur le bureau du père Hachette me fit monter au bureau de la publicité. En 1864, j'étais chef de ce bureau et je gagnais deux cents francs. C'est là que j'ai connu presque tout le journalisme et toute la littérature -- Cependant, en 1864, j'avais publié mes Contes à Ninon et en 1865 ma Confession de Claude. Je ne pouvais plus rester. Je quittai la maison Hachette à la fin janvier 1866 et j'entrai immédiatement à l'événement de Villemessant, où je rendis compte des livres pendant près d'une année. Je fis un Salon qui, pour la première fois, me mit en vue ; mon éloge de Manet avait ameuté les artistes et le public. Depuis lors, j'ai vécu de ma plume, j'ai payé mes dettes , et vous savez le reste.

Voici la liste de mes premiers ouvrages : Contes à Ninon (1864), Confession de Claude (1865), Mes Haines (1866), Le Vœu d'une Morte (1866), Etude sur Manet (1866), Thérèse Raquin (1867), Madeleine Férat (1868) ; puis viennent les Rougon-Macquart.

J'ai collaboré à beaucoup de journaux : Evénement, Figaro, Grand Journal, Petit Journal, Illustration, Vie Parisienne, Gaulois, Salut public, Sémaphore, Siècle, Cloche, Bien public...

(Note biographique de Zola à l'intention de Daudet)

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Les dates importantes de sa vie

1840 : Naissance d'Emile Zola à Paris

1847 : Mort du père d'Emile : François Zola

1862 : Zola entre à la librairie Hachette comme employé pour devenir chef de la publicité deux ans plus tard.

1866 : Zola quitte la librairie Hachette.

1870 : Zola épouse Gabrielle-Alexandrine Melay, sa compagne depuis cinq ans.

1871 : Zola débute son cycle des Rougon-Macquart.

1877 : Zola obtient son premier gros succès littéraire avec son roman l'Assommoir.

1878 : Zola achète sa maison de Médan : " Une cabane à lapin "

1888 : Zola débute une liaison avec l'ancienne lingère de sa femme : Jeanne Rozerot

1889 : Zola découvre les joies de la paternité avec la naissance de sa fille Denise qu'il a eue avec Jeanne Rozerot

1891 : Zola devient à nouveau père d'un petit garçon : Jacques, deuxième enfant de sa maîtresse

1893 : Zola achève ses Rougon-Macquart avec le dernier volume : Le Docteur Pascal.

1897 : Zola publie son premier article en faveur de Dreyfus

1898 : Zola publie sa lettre ouverte au Président de la République : "J'accuse"

Zola quitte la France pour l'Angleterre afin d'échapper à sa condamnation d'un an de prison.

1899 : Zola rentre en France après l'arrêt de révision du procès Dreyfus.

1900 : Zola écrit trois articles à la mémoire de son père afin de répondre aux articles diffamatoires le concernant parus durant l'Affaire Dreyfus.

1902 : Emile Zola est retrouvé sans vie dans son appartement parisien suite à une asphyxie due au mauvais tirage de sa cheminée, bouchée par des pierres. Accident ou acte intentionnel ?