ZOLA JOURNALISTE 

          

               

- Liste des journaux auxquels Émile Zola a collaboré

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"Je hais les sots qui font les dédaigneux, les impuissants qui crient que notre art et notre littérature meurent de leur belle mort. Ce sont les cerveaux les plus vides, les coeurs les plus secs, les gens enterrés dans le passé, qui feuillettent avec mépris les oeuvres vivantes et toutes enfiévrées de notre âge, et les déclarent nulles et étroites. Moi, je vois autrement. Je n'ai guère  souci de beauté ni de perfection. je me moque des grands siècles. Je n'ai souci que de vie, de lutte, de fièvre. Je suis à l'aise parmi notre génération. Il me semble que l'artiste ne peut souhaiter un autre milieu, une autre époque. Il n'y a plus de maîtres, plus d'écoles. Nous sommes en pleine anarchie et chacun de nous est un rebelle qui pense pour lui, qui crée et se bat pour lui. L'heure est haletante, pleine d'anxiété : on attend ceux qui frapperont le plus fort et le plus juste, dont les poings seront assez puissants pour fermer la bouche des autres, et il y a au fond de chaque nouveau lutteur une vague espérance d'être ce dictateur, ce tyran de demain".

Mes Haines

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(...) "Je considère le journalisme comme un levier si puissant que je ne suis pas fâché de tout de pouvoir me produire à jour fixe devant un nombre considérable de lecteurs" (...)

Lettre à Anthony Valabrègue, le 06/02/1865

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(...) "Depuis plus de quinze ans, je me bats dans les journaux. D'abord, j'ai dû y gagner mon pain, très durement, je crois bien que j'ai mis les mains à toutes les besognes, depuis les faits divers jusqu'au courrier des Chambres. Plus tard, lorsque j'aurais pu vivre de mes livres, je suis resté dans la bagarre, retenu par la passion de la lutte. Je me sentais seul, je ne voyais aucun critique qui acceptât ma cause, et j'étais décidé à me défendre moi-même ; tant que je demeurerais sur la brèche, la victoire me semblait certaine. Les assauts les plus furieux me fouettaient et me donnaient du courage.

A cette heure, j'ignore encore si ma tactique avait du bon ; mais j'y ai au moins gagné de bien connaître la presse. Mes aînés, des écrivains illustres, l'ont souvent foudroyée devant moi, sous de terribles accusations : elle était l'agent démocratique de la bêtise universelle. J'en passe, et des plus féroces. J'écoutais, je songeais que, pour en parler avec cette rancune, ils ne la connaissaient pas ; non, certes, qu'elle fût absolument innocente de tout ce qu'ils lui reprochaient, mais parce qu'elle a des côtés puissants et qu'elle offre des compensations très larges. Il faut avoir longtemps souffert et usé du journalisme, pour le comprendre et l'aimer.

A tout jeune écrivain qui me consultera, je dirai : "Jetez-vous dans la presse à corps perdu, comme on se jette à l'eau pour apprendre à nager." C'est la seule école virile, à cette heure ; c'est là qu'on se frotte aux hommes et qu'on se bronze ; c'est encore là, au point de vue spécial du métier, qu'ont peut forger son style sur la terrible enclume de l'article au jour le jour. Je sais ben qu'on accuse le journalisme de vider les gens, de les détourner des études sérieuses, des ambitions littéraires plus hautes. Certes, il vide les gens qui n'ont rien dans le ventre, il retient les paresseux et les fruits secs, dont l'ambition se contente aisément. Mais qu'importe ! Je ne parle pas pour les médiocres, ceux-là restent dans la vase de la presse, comme ils seraient restés dans la case du commerce ou du notariat. Je parle pour les forts, pour ceux qui travaillent et qui veulent. Qu'ils entrent sans peur dans les journaux : ils en reviendront comme nos soldats reviennent d'une campagne, aguerris, couverts de blessures, maîtres de leur métier et des hommes.

Les meilleurs d'entre nous, aujourd'hui, n'ont-ils point passé par cette épreuve ? Nous sommes tous les enfants de la presse, nous y avons tous conquis nos premiers grades. C'est elle qui a rompu notre style et qui nous a donné la plupart de nos documents. Il faut simplement avoir les reins solides, pour se servir d'elle, au lieu qu'elle ne se serve de vous. elle doit porter son homme.

Ce sont là, d'ailleurs, des leçons pratiques que les plus énergiques paient très cher. Je parle pour moi, qui l'ai souvent maudite, tellement ses blessures sont cuisantes. Que de fois je me suis surpris à reprendre contre elles les accusations de mes aînés ! Le métier de journaliste était le dernier des métiers ; il aurait mieux valu ramasser la boue des chemins, casser des pierres, se donner à des besognes grossières et infâmes. et ces plaintes sont ainsi revenues, chaque fois qu'un écoeurement m'a serré à la gorge, devant quelque ordure brusquement découverte. Dans la presse, il arrive qu'on tombe de la sorte sur des mares d'imbécillité et de mauvaise foi. C'est le côté vilain et inévitable. On y est sali, mordu, dévoré, sans qu'on puisse établir au juste s'il faut s'en prendre à la bêtise ou à la méchanceté des gens. La justice, ces jours-là, vous semble morte à jamais ; on rêve de s'exiler au fond d'un cabinet de travail bien clos, où n'entrera aucun bruit du dehors, et dans lequel on écrira en paix, loin des hommes, des oeuvres désintéressées.

Mais la colère et le dégoût s'en vont, la presse reste toute puissante. On revient à elle comme à de vieilles amours. Elle est la vie, l'action, ce qui grise et ce qui triomphe. Quand on la quitte, on ne peut jurer que ce sera pour toujours, car elle est une force dont on garde le besoin, du moment où l'on en a mesuré l'étendue. Elle a beau vus avoir traîné sur une claie, elle a beau être stupide et mensongère souvent, elle n'en demeure pas moins un des outils les plus laborieux, les plus efficaces du siècle, et quiconque s'est mis courageusement à la besogne de ce temps, loin de lui garder rancune, retourne lui demander des armes, à chaque nécessité de bataille.

Adieux, Le Figaro, 22/09/1881